Le mois de juin est traditionnellement le mois des bilans : bilan d’une année scolaire, d’une année pastorale… Avant les congés d’été, nous prenons le temps de relire ce qui a été vécu, nous nous réjouissons de ce qui a progressé, évaluons les raisons de ce qui n’a pas marché et nous donnons quelques objectifs pour la rentrée de septembre. Aussi, je voudrais, dans cet éditorial, poser un regard sur ce que notre société et notre monde ont vécu depuis la rentrée dernière. Ce regard, je le pose sans aucune prétention… Je ne suis ni sociologue, ni politologue, ni économiste mais un simple citoyen et un chrétien désireux, avec vous tous, d’apporter la Bonne Nouvelle du Salut…

La société française (comme d’autres en Europe) a traversé durant ces mois plusieurs crises graves, en interaction les unes avec les autres : une crise économique avec une inflation galopante qui a impacté l’économie du pays et donc sa population, à commencer par les plus modestes. Une crise démocratique et sociale avec un parlement incapable de débattre avec sérénité et de dégager des majorités au service du Bien Commun, des corps intermédiaires qui ont eu le sentiment de ne pas être écoutés et une population légitimement en proie à bien des inquiétudes… Pour s’en convaincre, il suffit de relire la manière dont s’est déroulé le débat sur les retraites. Un débat national raisonnable et apaisé aurait permis d’aborder des questions fondamentales comme, par exemple, la solidarité entre les générations, le sens à redonner au travail comme lieu d’épanouissement et d’accomplissement, la prise en compte du temps consacré à l’éducation des enfants ou à l’aide apportée aux parents malades ou âgés qui interrompt des carrières professionnelles…

Toutes ces crises entremêlées ne peuvent que conduire à l’agressivité et à la violence, à la radicalisation des positions, au discrédit des institutions qui régulent notre démocratie et à l’accentuation du sentiment d’exclusion des plus précaires. Nous pouvons ajouter à ce tableau, un ultralibéralisme qui n’est pas seulement économique… La loi sur « l’aide active à mourir » qui devrait arriver au Parlement ces prochains mois prétend, comme d’autres lois sociétales précédemment adoptées, honorer un droit toujours plus grand à disposer de la vie, à disposer de sa vie. Avec mes frères-évêques à Lourdes, nous avons approuvé un texte intitulé : L’aide active à vivre, un engagement de fraternité. Je vous en partage sa conclusion : « Nous aimons et nous croyons à la liberté. Mais nous affirmons qu’elle ne peut se déployer que si la valeur de la vie de chacun est pleinement reconnue et respectée (…) Plus que jamais, ce qui peut unir et apaiser notre société si violemment fracturée, comme le montrent les conflits sociaux de ces jours, c’est la vérité de notre engagement collectif pour la fraternité. »

Enfin, comment ne pas être effrayé de l’enlisement de la guerre que mène la Russie en Ukraine, avec son lot de destructions, de morts, de populations déplacées ? Le réarmement des pays, la course aux alliances politiques et militaires, le retour à l’affrontement bloc contre bloc nous rappellent de funestes souvenirs et nous invitent, plus que jamais, à être, sans naïveté, des artisans de justice et de paix et à porter dans notre prière quotidienne tous ces peuples en souffrance et leurs dirigeants. Je n’oublie pas, en effet, tous ces conflits dont on ne parle plus : en Arménie, au Haut-Karabagh, au Mali, au Niger, au Burkina-Faso, au Congo-Kinshasa, au Soudan…

Notre Église n’étant pas une bulle, elle a le de¬voir de porter un regard lucide sur notre société et notre monde. Tout d’abord, parce qu’elle est concernée et impactée par les épreuves qu’ils traversent mais également, et surtout, parce qu’à la suite du Christ, elle a mission de lui annoncer l’espérance qui s’est levée au matin de Pâques quand son Maître et Seigneur est sorti vainqueur du mal et de la mort.

« L’Amour du Christ nous presse » 1 écrivait saint Paul : comment pouvons-nous raviver et faire briller l’Espérance qui puise sa source dans l’Amour du Christ victorieux du mal et de la mort ? Comment discerner la fragile présence aimante du Ressuscité qui agit par son Esprit au cœur même de toutes ces épreuves ?
Et puis, il est bon de nous rappeler que l’Église – chacun de nous – a reçu mission du Christ de rappeler à notre monde, sans se lasser, l’exigence des Béatitudes. L’horizon d’un bonheur qui ne peut se réaliser que si nous vivons accordés à cet Amour du Christ qui nous presse à témoigner et à agir en son nom. J’aime cette citation de Paul dans l’Épître aux Romains : « Le Royaume de Dieu ne consiste pas en des questions de nourriture ou de boisson ; il est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint (…) Recherchons donc ce qui contribue à la paix, et ce qui nous associe les uns aux autres en vue de la même construction. » 2

Alors, en ce mois des bilans, il pourrait être bon de regarder comment, tout au long de cette année pastorale, nous avons eu le souci de « contribuer à la paix », par la qualité de nos relations avec tous ceux qui nous entourent, dans notre paroisse, nos familles, notre voisinage, les lieux où nous sommes engagés… Ce pourrait être aussi le bon moment pour prendre conscience que c’est bien à notre monde, à notre société, que nous sommes envoyés et que nous avons, chacun et collectivement, notre part à prendre pour que l’emportent la paix, la fraternité et la justice.

Mgr Laurent PERCEROU
Évêque de Nantes
paru dans ELA n° 137 – juin 2023

 


1. 2 Corinthiens 5, 14
2. Romains 14, 17-19