(Photo : La Moisson (1874) – Léon Augustin Lhermitte)

Jésus parcourait toutes les villes et tous les villages, enseignant dans leurs synagogues, proclamant l’Évangile du Royaume et guérissant toute maladie et toute infirmité. Voyant les foules, Jésus fut saisi de compassion envers elles parce qu’elles étaient désemparées et abattues comme des brebis sans berger. Il dit alors à ses disciples : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. » Matthieu 9, 35-38

En cette rentrée pastorale, je voudrais vous inviter à contempler Jésus dans son activité missionnaire. Nous le voyons parcourir les villes et les villages de Galilée et partout où il passe, il donne à voir les signes du Royaume annoncés par les prophètes : il enseigne, il proclame l’Évangile aux foules, il guérit les malades… Mais il n’est pas que dans l’action, il s’arrête parfois pour poser un regard de tendresse sur ces foules, un regard dans lequel s’exprime tout l’amour de Dieu son Père.

Il en éprouve, nous dit l’évangéliste Matthieu, une vive compassion parce que ces foules sont laissées à elles-mêmes, comme des brebis sans leur berger. Et cette compassion de Jésus est une émotion profonde, ressentie physiquement. Le mot grec utilisé par l’évangéliste, qui est traduit par « compassion » en français, fait référence aux « entrailles », aux « viscères ». Il désigne les reins, le cœur, et même l’utérus d’une mère. Jésus est donc littéralement remué jusqu’aux entrailles devant la souffrance des gens qui sont perdus, abattus, soumis à la dure loi de l’occupant romain et qui ne trouvent pas en leurs responsables religieux des guides capables de les rassurer et de les conduire dans l’espérance. Ils attendent désespérément le Messie de Dieu annoncé par les prophètes et c’est pour cela qu’ils accourent vers Jésus.

Que fera Jésus ? Il aurait pu devenir un leader politique ! Car nous le savons clairement : plus que n’importe quel prophète, Jésus est venu en ce monde pour rétablir le droit et la justice. Alors Jésus se transformera-t-il en leader révolutionnaire ?

Non… Devant ces foules en désarroi, la première demande que Jésus adresse à ses disciples est de prier. Devant la détresse des foules, Jésus ne demande pas de l’action… Il faut d’abord, en toute priorité, se tourner vers le Père : « Priez donc le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson. » Changer le monde, oui, mais pas selon des plans humains mais selon les plans de Dieu : Jésus parle d’abord de prier le Père afin de se mettre à l’écoute de ce que, lui, veut. Ensuite on moissonnera ! Voilà qui est une première leçon pour chacun de nous, disciples du Christ, engagés sur le vaste chantier de la construction du Royaume. Devant les urgences qui se font jour et qui nous « prennent aux entrailles », nous savons combien est grande la tentation parfois de vouloir bâtir ce Royaume de manière trop humaine, selon nos plans, le Christ et son Évangile ne venant alors qu’a posteriori comme pour justifier nos manières de voir et de faire.

Et cette moisson qui a besoin de nombreux ouvriers, nous le savons, elle est disproportionnée au regard de nos forces… Aussi, évidemment, le Seigneur ne nous demande pas d’être présents partout à la fois. Il nous demande d’abord et avant tout d’être vraiment présents là où nous sommes, là où il nous a placés pour que nous portions du fruit. Là où nous sommes, il s’agit de prendre toute notre place dans cette Église afin d’en devenir « pierre vivante ». Là où nous sommes, il s’agit de moissonner, sans attendre que les orages fassent pourrir la moisson sur pied. Nous voilà invités à être moissonneurs là où nous sommes ! Dans notre famille, notre lieu de travail, là où nous sommes engagés et où nous vivons, c’est ce que le Seigneur nous demande d’abord.

Et j’ai bien dit « moissonner les fruits des semailles faites par le Seigneur » ! Dieu ne demande pas des semeurs mais des moissonneurs… C’est lui seul qui fait grandir chez un homme l’espérance du salut. Aussi, ce qui nous est demandé à nous tous, c’est de rentrer de bonne grâce et humblement dans le travail de Dieu qui toujours nous précède, et de le prendre tellement à cœur que nous soyons toujours à réclamer de l’aide, de nouveaux bras, de nouveaux cœurs de missionnaires. Dans cette immense entreprise missionnaire, Dieu est le maître d’œuvre et c’est par lui qu’il faut passer nécessairement : « Priez le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson ! ».

Alors, en cette rentrée, bonne route à tous avec l’Esprit !

 

Mgr Laurent PERCEROU
Évêque de Nantes
paru dans ELA n° 129 – octobre 2022