Jeûne, partage, prière. Chaque année dans nos paroisses, nos mouvements et nos services, le carême est synonyme d’efforts et de dépouillement. Mais pourquoi donc s’embarquer dans une telle entreprise ?

La liturgie de ces jours nous propose de larges extraits du livre de l’Exode. Le peuple Hébreu, après avoir traversé la mer rouge, fait  l’expérience du désert, lieu par excellence du dépouillement. Avez-vous déjà essayé, carte en main, de suivre leur itinéraire ? Le désert de  Chour et les eaux amères de Mara… Elim et ses douze sources d’eau douce… Le désert de Sin, lieu du murmure – « Pourquoi le Seigneur ne nous a-t-il pas fait mourir en Égypte ? Là, nous pouvions nous asseoir devant des marmites de viandes et nous mangions du pain comme nous voulions »… puis le don inattendu des cailles et la manne. Réphidim… lieu de la soif, de la révolte et l’eau qui jaillit de Massa et Mériba.

Ce qui frappe, en toutes ces pérégrinations, c’est l’inconstance du peuple hébreu. Ses hésitations, ses hauts et ses bas, ses actes de courage et ses lâchetés, ses révoltes et ses relèvements.

Ainsi était le cœur de l’homme. Ainsi demeure-t-il. Toute personne qui a marché au désert sait ce qui surgit avec davantage de véhémence de son cœur et de sa mémoire dans le dénuement… Bons et mauvais souvenirs, joies et regrets du passé, attraits et dégoûts… comme autant de pierres noires et de pierres blanches sur un chemin de vie. La ligne d’horizon ouvre aussi à de grandes aspirations pour l’avenir.

Saint Augustin évoque l’histoire du monde comme la lutte entre deux amours : « l’amour pour soi-même, jusqu’à la destruction du monde » et « l’amour pour les autres, jusqu’au renoncement à soi-même ». L’amour captatif et l’amour oblatif. L’amour qui se sert et l’amour qui offre.
L’histoire du monde ? Parce que l’histoire du cœur du chacun, l’histoire de nos relations interpersonnelles, l’histoire de nos familles, des associations auxquelles nous sommes liés et celle de nos communautés chrétiennes.
Les personnes qui ont eu la grâce de faire l’expérience du désert savent ce qu’elles y ont reçu. Par un dénuement intérieur, le carême veut nous introduire dans une même expérience. Le vide créé par le jeûne, le partage et la prière nous rendent plus attentifs au fondement de nos existences – en joies et en peines – et à la présence de Dieu à nos côtés. Il y a tant d’événements pour lesquels il nous faut rendre grâce, tant d’amertumes à adoucir, de révoltes à chasser, de désirs à évangéliser. Notre fidélité à renouveler. Seuls et en communauté.

Le dépouillement du désert vient mettre à nu les ambiguïtés du cœur humain pour nous rendre lucides sur les combats à mener. Il vient nous purifier de tout ce qui se dessèche à la surface de nos vies et nous ramène à une source d’eau vive. Dans le silence, nous sommes rendus plus attentifs à la présence de celui qui nous tient dans sa main. Nous trouvons la lumière, la consolation, la libération… « Ce qui embellit le désert, c’est qu’il cache un puits quelque part » dit le petit prince.

Au bord de ce puits, il y a un homme, assis, qui nous dit « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : “ Donne-moi à boire ”, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. »

En ces jours bénis, laissons-nous  tenter par une « journée désert » – les journées Reprendre souffle sont une belle opportunité, parmi tant d’autres. Déjà, chez soi, le dépouillement d’activités, de bruits, d’images et de sons, nous met sur le bon chemin.

Sandales aux pieds, ceinture aux reins, bâton à la main, le désert nous attend !

 

Père Sébastien de Groulard
(ELA n° 102 – mars 2020)