Les Pèlerins d’Emmaüs (Rembrandt, Louvre)

Ils sont deux disciples de Jésus qui marchent vers Emmaüs. Deux disciples, tristes et abattus, qui pleurent sa mort. Ils avaient cru en lui et avaient vibré à son message. Ils étaient tellement persuadés qu’il était le Messie d’Israël qu’ils avaient décidé de quitter familles et travail pour le suivre… Mais il est mort du supplice infligé aux assassins et aux séditieux : sur une croix. La pire mort qui soit ! Le rêve est brisé et le chagrin immense. La belle aventure est terminée, il ne leur reste donc plus qu’à rejoindre les leurs et à reprendre le travail…

Un inconnu les rejoint sur la route. Il les interroge : « Pourquoi êtes-vous abattus ? Que s’est-il donc passé de si tragique à Jérusalem ? » Et ils racontent : leur foi en ce Jésus de Nazareth, le complot des chefs religieux pour le faire arrêter et condamner, son supplice et sa mort, leur espérance déçue…

Alors, cet inconnu prend le temps avec eux de relire les Écritures :

  • Il leur fait découvrir que le Messie de Dieu n’a jamais été présenté comme un général victorieux qui restaurerait le temps glorieux du roi David mais qu’il serait, bien plutôt, Dieu lui-même qui s’abaisserait pour devenir homme parmi les hommes afin de les ras- sembler tous dans son amour infini.
  • Il leur fait découvrir qu’il était écrit par Isaïe que ce Messie, ce « Serviteur souffrant », se heurterait au péché des hommes et que ceux-ci, refusant de changer leur cœur, le mettraient à mort.
  • Il leur fait découvrir que la mort de Jésus n’est pas la fin de l’histoire mais un passage qui ouvre l’Histoire : au matin de Pâques, l’amour surabondant du Père manifesté en lui fera tomber la lourde pierre qui fermait le tombeau. Jésus, le Christ, en sortira vainqueur, ressuscité ! Une espérance deviendra possible, le mal et le péché seront vaincus, la mort sera morte !

Quand l’inconnu referme le livre des Écritures, le cœur des deux disciples est tout brûlant de l’inouï de cette révélation. Ils le retiennent à l’auberge pour le repas du soir. Ils veulent en savoir davantage sur lui… Il suffira qu’il rompe le pain – comme au soir du jeudi saint – pour qu’ils le reconnaissent : c’est Jésus, notre Maître et Seigneur, le Messie de Dieu ! Oubliant la fatigue de leur longue marche, c’est en courant qu’ils rebrousseront chemin pour annoncer leur découverte aux autres disciples restés à Jérusalem.

Cette Bonne Nouvelle, nous la vivons chaque année lors de la Semaine Sainte qui est le cœur de la foi chrétienne. Mais elle n’est pas que quelques jours dans le calendrier, elle est celle que l’Église doit annoncer à temps et à contretemps, à tous et en tout temps !
Néanmoins, devant cette exigence missionnaire, une question m’habite : dans nos sociétés occidentales sécularisées, l’Église, qui est le corps du Christ ressuscité, est-elle encore en capacité de demeurer le signe vivant de ce Dieu qui, en Jésus-Christ, est venu manifester sa proximité jusqu’au don de lui-même afin de les sauver ? Comment peut-elle être cette auberge d’Emmaüs pour nos contemporains ?

L’Écriture, comme sur la route d’Emmaüs, peut nous aider à répondre. St Jean, dans les premiers versets du livre de l’Apocalypse, définit l’Église comme « la reine choisie par Dieu », destinée à rassembler et à conduire toute l’humanité au Père, dans son Royaume. Or, Jésus nous a laissé une belle parabole du Royaume : « Le Royaume est comparable à une graine de moutarde qu’un homme a semée dans son champ. C’est la plus petite de toutes les semences, mais quand elle a poussé, elle dépasse les autres plantes potagères et devient un arbre, si bien que les oiseaux du ciel font leurs nids dans ses branches. » (Mt 13, 31-32). L’Église, en occident, dans notre diocèse, peut apparaître bien fragile, ballottée en tous sens par la tempête… Mais voilà que l’Écriture nous assure qu’elle « est la reine choisie par Dieu », habitée jusque dans sa fragilité par la vie nouvelle du Christ-ressuscité. L’événement pascal nous provoque alors à la confiance et à l’audace missionnaire !

C’est pourquoi je vous ai écrit à la Toussaint dernière une lettre intitulée Dans la joie que donne l’Esprit. J’ai engagé huit chantiers pour aider notre Église diocésaine à mieux servir la mission en ce temps qui est le nôtre. Je crois avec vous que l’Esprit du Christ ressuscité guide l’Église et l’ouvre à la mission. Je crois avec vous que le Christ vient rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés et que là est notre mission. C’est ce qu’il attend de nous. Oui, l’heure est à l’audace missionnaire !
Joyeuses fêtes de Pâques à tous !

Mgr Laurent PERCEROU
Évêque de Nantes
paru dans ELA n° 135 – avril 2023