Voilà dix ans, Mgr Jean-Paul James créait par décret à Nantes l’Équipe Interdisciplinaire d’Accompagnement des Prêtres Âgés (E.I.A.P.A.). Par-là, il marquait la sollicitude épiscopale envers les prêtres « âgés de 75 ans et plus », et sa volonté de les faire bénéficier d’une équipe opérationnelle composée de professionnels venant de disciplines diverses. À l’occasion de cette date anniversaire et à la lumière de ces dix années d’expérience, l’équipe a organisé une journée de réflexion et d’échanges à la Maison diocésaine Saint Clair le jeudi 28 avril dernier, sur le thème : « Prêtres âgés aujourd’hui, des passages à faire, des étapes à franchir ». Une quarantaine de prêtres concernés a répondu à cette invitation.

Prêtres âgés aujourd’hui, Des passages à faire, des étapes à franchir

Après la présentation de la journée faite par Anne-Marie Vincent, assistante sociale, la matinée a été consacrée à deux exposés. Nous avons d’abord entendu Michel Normand, psychologue et psychanalyste, qui a développé ses remarques sur les âges de la vie à partir de cette question : « Exister sans compter ? ». Partant de ce fait : ce que l’on a coutume d’appeler « les âges de la vie » est une des formes majeures de l’expression symbolique du lien social, il nous a montré comment des mots tels « vieux » « vieillesse » sont des actes de langage qui s’imposent à tous. Ceux-ci véhiculent des représentations et des significations à la fois individuelles et collectives. Chacun en est affecté de manière particulière, à partir de son histoire et de son vécu personnels, liés aux autres périodes de la vie et d’abord à la première période qu’est la vie infantile. Celle qui constitue l’inconscient qui, lui, ne connaît pas le temps. Prenant appui sur ce nouvel ordre de réalité qu’est l’ordre symbolique du langage, sur l’importance des mots, sur le pouvoir de la parole découverts par la psychanalyse freudienne, il développé l’idée que le chrétien, et singulièrement le prêtre, familiers de la vie de l’esprit, nourris de la Parole de la Bible et des sacrements, soutenus par la communauté fraternelle de l’Église, paraissaient particulièrement bien armés pour se confronter aux épreuves de la « chair » que sont l’avancée en âge, l’angoisse, la solitude, la maladie, la mort même. Pourtant la Conférence des Évêques instituant les E.I.A.P.A. à l’intention des prêtres de « 75 ans et plus » ainsi que leurs propres témoignages montrent que certains d’entre eux se sentent démunis face au vieillissement et à la retraite. Par-là ils rejoignent l’expérience commune des laïcs. M. Normand considère ce moment de la vie comme étant une crise de l’existence. Comme telle, cette épreuve remet en cause les identifications qui soutenaient habituellement le sujet. Mais il souligne qu’une voie vers une nouvelle identification est proposée aux prêtres avançant en âge par le Père J-F Berjonneau quand il leur parle d’« une passivité pour une vie spirituelle nouvelle ». Il s’agit d’une identification renouvelée avec la figure du Christ souffrant, de rejoindre sa position de passivité offerte dans son sacrifice sur la croix, qui est le sommet de son action de rédemption pour l’humanité. Michel Normand a conclu son exposé en nous transmettant ce que lui ont appris les prêtres âges au cours de ces dix ans avec l’E.I.A.P.A. Si pour quelques-uns d’entre eux, la rencontre avec la réalité du vieillissement et des limites qu’elle impose à leur ministère est une perte difficile voire impossible à assumer, la plupart trouve la voie vers une vie nouvelle, toute en conservant leur lien à la communauté ecclésiale.

De son côté, Jean-Paul Tesson, médecin gériatre, nous a apporté son éclairage médical sur « C’est quoi vieillir ?» Partant de l’étymologie des mots « vieux » et « vieillir », il a souligné que ces termes s’appliquaient non pas tant à un âge – qui varie selon les époques – mais à un état physique et psychique. Est « vieux », celui qui est dépendant. Le mot « vieillir » contient le sens de « faillir », d’usure, de fragilité, de chute. D’où l’importance capitale qu’il accorde au moment où, dans la vie quotidienne d’une personne âge, des chutes se répètent. Elles sont véritablement le signe premier de ce vieillissement. Celui-ci concerne également une dimension cognitive et psychologique qui peut entraîner une dépression. Cependant J.-P. Tesson a rappelé que les découvertes scientifiques récentes ont mis en évidence la capacité du cerveau à se régénérer grâce à sa plasticité neuronale. Il a insisté enfin sur l’intérêt de la prévention en évoquant l’attention à porter à l’équilibre nutritif, à la nécessité de maintenir des temps de loisir avec des activités physiques et intellectuelles, et de conserver des relations sociales.

Père Jean-François Berjonneau

Père Jean-François Berjonneau

L’après-midi a été l’occasion d’entendre l’exposé du Père Jean-François Berjonneau, prêtre retraité du diocèse d’Évreux et membre de l’équipe nationale d’accompagnement des prêtres aînés à la Conférence des Évêques de France. A partir de sa propre expérience et de sa lecture de la Bible, il nous a fait part de sa façon de concevoir l’avancée en âge du prêtre sur le thème : « Prêtres face à l’âge qui s’avance ». Pour lui, la retraite est un temps de relation plus intense avec le Christ, mais aussi avec son propre entourage. Ce temps de « déprise », de passivité », de « gratuité » est un « temps favorable », un « temps de salut » au sens biblique. En effet, il nous rappelle fort à propos que, dans la Bible, lorsque Dieu veut agir pour le salut de son peuple, il se manifeste auprès de prophètes plutôt avancés en âge. Ainsi en est-il d’Abraham assis à l’entrée de sa tente, sous le chêne de Mambré, veillant à recevoir celui qui passe, dans le « mystère de l’hospitalité ». J-F Berjonneau prend appui sur cet épisode de la Bible et sur d’autres textes de l’Écriture, pour nous faire entendre que la vieillesse est ce moment de disponibilité au quotidien, de « veille » et l’occasion d’être disponible pour « accueillir du neuf ». Dans leur relation au monde et aux jeunes prêtres, il invite les vieux prêtres à être des « veilleurs », des « prophètes » même, attentifs à lire les signes du temps présent, tout en étant la mémoire du temps passé. Le Père Berjonneau rappelle l’intime fraternité qui lie les prêtres entre eux, même s’il s’émeut de la distance qui parfois sépare les générations, en particulier celles des prêtres oublieux de la refondation de l’Église depuis le Concile de Vatican II dont les prêtres âgés ont été les acteurs et les témoins. Par ailleurs, il invite les Évêques à considérer les prêtres retraités en tant que « partenaires » à part entière par une véritable Lettre de Mission et en organisant la présence d’une personne référente qui puisse recevoir leurs expressions et leurs questions. Il invite aussi les associations diocésaines et les Conseil presbytéraux à cette même attention. Pour Jean-François Berjonneau, cette voie est celle qui pourra permettre à chaque prêtre d’accomplir « jusqu’au bout » son chemin, jusqu’à l’horizon du « dessaisissement ultime » qu’est la mort, dans la « certitude d’être aimé par Dieu, jusqu’au bout ».

Dans la suite Mgr Laurent Percerou est venu ponctuer ce propos auquel il a rendu hommage. Devant l’assemblée il a tenu à dire combien il partageait la vision du prêtre âgé développé par J-F. Berjonneau. Du fait de sa retraite, le prêtre peut accroître son « être », étant dans la déprise du « faire ». À cette occasion, Mgr Percerou a fait part de sa propre insatisfaction à ne pouvoir rencontrer chaque prêtre âgé comme il l’aurait souhaité, reconnaissant lui-même combien il est absorbé par son activité épiscopale. Évoquant l’actualité douloureuse pour L’Église, il a encouragé l’ensemble des prêtre présents à l’« aimer telle qu’elle est ». En conclusion, il les a exhortés à mettre à profit la liberté que leur donne leur nouvelle vie pour « être présents », selon leurs propres choix, « là où sont les gens ».

Après quelques moments de questions et d’échanges entre les participants et l’équipe interdisciplinaire, René Pennetier a clôturé cette journée en remerciant les prêtres qui se sont déplacés ainsi que les différents intervenants.

M.N.