Du désert des tentations vers le jardin de Pâques, nous vivons la marche du carême. Un carême soucieux de notre environnement. Le désert est sec, aride. La vie y est peu présente. Le Christ y est tenté : « Ordonne à cette pierre de devenir du pain. » (Lc 4, 3), lui dit le diable. Mais l’homme ne se nourrit pas seulement de pain. Nos faims légitimes peuvent devenir nos maîtres et faire de nous des esclaves. Consommation non-stop, nous propose la société. Mais la vraie vie est-elle là ? Notre consommation outrancière abîme « la maison commune ». L’avidité, l’excès de bienêtre, l’exploitation exagérée de l’environnement créent des déserts inhabitables. En carême, l’Église demande de s’abstenir de viande les vendredis et de jeûner le mercredi des cendres et le vendredi saint. Pourquoi le carême doit-il se vivre jusque dans nos repas ? Car nous ne sommes pas de purs esprits. Notre corps participe au carême. L’esprit de conversion du carême s’incarne dans des gestes concrets de la vie quotidienne, dans des changements de mode de vie. Le jeûne nous rappelle également que beaucoup ne partagent pas les avantages de la société de consommation. Or, eux aussi sont appelés à passer des déserts de la faim et du dénuement au jardin de la vie.
Au désert, le diable tente à nouveau : « Je te donnerai tout ce pouvoir et la gloire. » (Lc 4, 6). Dominer. Écraser. Jouer son petit tyran au volant de sa voiture, ou caché derrière son ordinateur. Se croire seul au monde. L’autosuffisance est destructrice. La violence pour arriver à ses fins est mortifère. C’est ainsi que, dans nos villes, se créent des zones où la loi du plus fort s’installe ; et on les fuit comme des déserts hostiles. Au diable, Jésus répond : « devant Dieu seul, tu te prosterneras. » (Lc 4, 8). C’est l’attitude de « celui qui met sa foi dans le Seigneur. » (Jr 17, 7). Il ne se dit pas maître de la création, mais simple intendant. Il est comme « un arbre planté près des eaux et son feuillage reste vert. » (Jr 17, 8). Car il met en premier, l’écoute de la Parole de Dieu et de l’Esprit de paix. À Pâques, il sait accueillir l’appel du Christ ressuscité, dans le jardin. C’est la joie de Marie de Magdala. En laissant place, pendant le carême, à la prière, à l’écoute du Seigneur, nous passons du désert au jardin.
Enfin, au désert, le diable tente encore : « du sommet du temple, jette-toi en bas. » (Lc 4, 9). Mettre Dieu en demeure de faire ce qui nous plaît. Jésus refuse ce marchandage. Il n’est d’amour vrai que gratuit. Aimer sans calcul, respecter sans attendre de récompense. C’est l’attitude du Christ jusqu’à la croix. L’amour du Christ est le modèle de l’amour chrétien. Le jour de Pâques, Jésus donne une mission à Marie de Magdala : « Va trouver mes frères. » (Jn 20, 17). MES frères ! C’est la mission de la fraternité : nous nous y entraînons en carême, par les gestes de partage. Le faisant, nous rendons notre environnement plus habitable. La scène du jour de Pâques n’est plus au désert mais dans le jardin. Tout est lié ! Le souci de l’air, du climat, des plantes, des espèces animales et le souci de la personne humaine. Tout est lié : notre environnement et les questions de justice sociale, l’écart croissant entre riches et pauvres. « La préservation de la nature fait partie d’un style de vie qui implique une capacité de cohabitation et de communion ».1
Le carême, c’est un beau moment. Par grâce et par nos efforts dans le jeûne, la prière et l’aumône, nous passons du désert au jardin, du désert de relations au jardin de l’amour et de la vie.
Bon carême !
+Jean-Paul James
évêque de Nantes
(ELA n° 91 – mars 2019)
[1] Pape François, encyclique Laudato si’, 2015, no 228