Mgr de Moulins-Beaufort a expliqué que cette visite s’inscrivait dans le cadre d’un travail mené depuis plusieurs années sur l’unité des Eglises chrétiennes, le racisme étant l’une des blessures les plus fortes à cette unité. « Plus que jamais, il nous est apparu que l’esclavage avait été un phénomène complexe, cause de traumatismes nombreux et durables chez les personnes qui y étaient réduites et chez leurs descendants mais aussi cause de distorsions de jugement chez ceux à qui l’esclavage a bénéficié et leurs descendants » a expliqué Éric de Moulins-Beaufort, ajoutant « nous venons modestement continuer notre recherche et notre réflexion communes, de manière œcuménique. Nous venons observer ce qui peut être dit ici de ce drame, de cette tragédie, de ce crime commis contre tant d’êtres humains. Nous cherchons les moyens d’aider – selon nos responsabilités propres – nos contemporains à prendre en charge ce traumatisme historique qui imprègne les mentalités et la vie sociale. Nous sommes, d’autre part, attentifs à toute forme d’esclavage qui pourrait exister aujourd’hui, ou plus largement, à tout système économique et social qui se construirait sur la privation des conditions minimales de sa dignité à tout être humain ».
Ils ont été accueillis par Mgr Percerou, évêque de Nantes : « C’était hier : les monuments, les mémoires, les bords de la Loire gardent des traces de ce passé, de cette pente tentatrice pour l’être humain d’entrer en connivence pour disposer d’autrui comme d’un objet ! Nos Eglises rassemblées aujourd’hui souhaitent redire avec force, au nom du Christ, leur engagement contre l’esclavage, celui du passé dont il faut faire mémoire, mais aussi contre celui qui subsiste aujourd’hui, ici et ailleurs, sous toute forme connue ou souterraine, et toujours inacceptable. »
Accompagnés des représentants locaux des diverses confessions et du Service pour l’Unité des Chrétiens, cette délégation d’une trentaine de personnes a débuté la visite en découvrant les salles du Château des Ducs de Bretagne consacrées à « La traite Atlantique et l’esclavage », en présence de Mr Jean-Marc Ayrault, président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage. Ce dernier a resitué le contexte dans lequel a pu émerger à Nantes un travail de mémoire profond, documenté et d’avant-garde sur ce sujet pourtant si délicat : « Cela a été un grand travail de vérité. Des descendants d’armateurs ont ouvert leurs archives, tout comme le diocèse… En 1991, une exposition intitulée « Les anneaux de la Mémoire » a révélé l’ampleur de ce commerce. On estime qu’environ 1800 bateaux sont partis de Nantes et que 12 à 13 millions de personnes ont été réduites en esclavage, dont 1,5 million en France, dans les départements d’Outre-Mer. »
Les informations et documents présentés au château continuent de s’enrichir des découvertes actuelles. Mr Bertrand Guillet, directeur, a mené une visite détaillée pour faire percevoir à ses visiteurs l’ampleur du système et toute son horreur.
Il les a ensuite accompagnés, jusqu’au Mémorial de l’abolition de l’esclavage, sur les quais de la Fosse, d’où partaient les navires du commerce triangulaire. Mr Olivier Château, adjoint au maire en charge du patrimoine, a introduit la visite de ce lieu unique en France. L’esplanade est parsemée de cartels en verre dépoli contenant les noms des bateaux tels des confettis au sol qui mènent vers de grands escaliers invitant à descendre presque au niveau de la Loire, dans une promenade de béton et de verre. Sur les parois, on peut lire divers textes sur la liberté et la servitude, la dignité humaine et l’aspiration à la paix. Une carte et une frise chronologique complètent le Mémorial et montrent l’accélération du processus qui s’est étendu du XVII au XIXe s. Il s’agit d’un des lieux les plus visités de Nantes, particulièrement par les scolaires pour qui « la traite négrière et l’esclavage doivent prendre une place conséquente dans les programmes » stipule la loi Taubira du 21 mai 2001.
Tous ont ensuite cheminé vers la basilique Saint-Nicolas, dans le centre de Nantes, plus que jamais conscients de l’ampleur de ce fléau, et de la vigilance qu’il convient de porter au jour le jour. Ils se sont unis par un temps de prière interconfessionnel avec des membres des communautés chrétiennes locales.
Isabelle Nagard