Aujourd’hui 22 mars 2020, nous avions prévu de fêter avec solennité les 100 ans de l’Agrégation de notre Congrégation à l’Ordre du Carmel. Le coronavirus en a décidé autrement.
Nous sommes entre nous, confinées chacune dans nos communautés, à Nantes, à la Bernerie, à Villa de Leyva, à Sonson et nos sœurs en EHPAD à Torfou. Tous les prêtres qui avaient prévu d’être là ce jour vont célébrer la Messe en Action de grâces avec nous, et tous ceux qui déjà ne pouvaient être présents vont le faire aussi. Beaucoup de personnes nous envoient des petits messages pour dire qu’elles pensent à nous et sont en communion. Nous ne sommes pas seules !!
Finalement cette crise sanitaire mondiale nous permet d’avoir le temps d’approfondir ce que nous voulons fêter aujourd’hui. Dans l’Evangile de ce dimanche, le récit de la guérison de l’Aveugle-né met en valeur un aspect qui peut rejoindre notre situation :
« En ce temps-là, en sortant du Temple, Jésus vit sur son passage un homme aveugle de naissance. Ses disciples l’interrogèrent : « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » Jésus répondit : « Ni lui, ni ses parents n’ont péché. Mais c’était pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui. Il nous faut travailler aux œuvres de Celui qui m’a envoyé, tant qu’il fait jour. »
Nous aussi devant cette épreuve nous serions tentées de dire ; « Qu’est ce que nous avions fait au Bon Dieu ! Ou bien qui est responsable de tout cela ? » Comme les Apôtres qui voulaient savoir, qui avait commis un péché qui mériterait une telle punition. Mais Jésus les emmène sur un autre plan : « C’était pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui. Il nous faut travailler aux œuvres de Celui qui m’a envoyé, tant qu’il fait jour ! »
Et si cette situation de crise nous permettait de manifester les œuvres de Dieu ! Saurons nous les voir ces œuvres de Dieu, à travers ces peurs, ces incertitudes, ces souffrances, ces deuils, ces séparations, ce chamboulement, que nous n’avons pas choisis ?
Il y en a quelques-unes qui me viennent à l’esprit.
Une coïncidence de date : Le 22 mars 1852, le Père Gilbert BAUDUZ amène à sœur Marie GUILLET, les deux premières orphelines en lui disant « Ma sœur, Ouvrez bien grand votre porte et votre cœur, ce sont des orphelines et Dieu nous les envoie. » C’était il y a 168 ans, jour pour jour. Et à cette époque un fléau sévissait sur la ville de Nantes : le choléra, maladie très contagieuse, qui faisait beaucoup de morts, particulièrement dans les quartiers pauvres comme celui de Barbin sur la paroisse Saint Félix de Nantes. Ce fléau a provoqué bien des souffrances, bien des séparations, bien des morts et beaucoup d’orphelins. Aujourd’hui en regardant cet événement 168 ans plus tard, nous savons qu’à travers lui, l’œuvre de Dieu s’est manifestée par la compassion et la charité de deux personnes qui ont ouvert leurs bras et leur cœur aux enfants orphelins. Les œuvres de Dieu se manifestent à travers nos pauvretés, nos souffrances, car le Fils de Dieu s’est fait homme et a vécu avec nous jusqu’au bout, notre condition humaine, à l’exception du péché.
Aujourd’hui à travers le fléau qui touche notre monde, des hommes et des femmes se lèvent encore pour que les enfants touchés par ce fléau puissent être en sécurité, continuent d’être aimés et puissent garder des contacts avec leur famille dans laquelle ils ne peuvent être hébergés.
Les personnels de la Maison d’enfants Saint Joseph à la Bernerie, se sont mobilisés pour que les enfants soient pris en charge, certains dans la famille des éducateurs, d’autres à la Maison d’enfants. Les journées sont organisées avec des temps de travail scolaire pour qu’ils ne perdent pas trop ce qui a été acquis. Les temps de confinement, des éducateurs acceptent de rester pendant 5 jours à la maison d’enfants, sans rentrer chez eux, pour éviter de propager le virus. Ils accueillent aussi pour le temps de travail les enfants de la famille tchétchène toujours accueillie à la Bernerie. Des courriers sont échangés entre les familles, les personnels qui sont chez eux et la maison d’enfants, avec des photos pour garder le lien. Les cadres de la maison assurent aussi une permanence pour sécuriser et organiser si nécessaire. La communauté des sœurs est aussi à l’œuvre à la cuisine, au travail scolaire, et à tout ce qui permet d’améliorer la vie. Nous retrouvons bien l’esprit de sœur Marie et du Père Bauduz. Nous rendons grâces pour cette œuvre de Dieu manifestée aujourd’hui.
A la Maison d’enfants de Nantes, les enfants ont été pris en charge différemment. Ceux qui le pouvaient sont allés en famille, d’autres sont dans des gîtes qui avaient l’habitude de travailler avec la maison de Bethléem et que les enfants connaissaient. Il en reste cependant 22 en trois lieux, un service à Saint-Sébastien où ils étaient externalisés pour les travaux, un service dans le secteur des petits et un service dans celui des moyens. L’organisation a été plus difficile, et il a fallu beaucoup de réunions, Monsieur Ripoche, le Directeur avec les chefs de service et les délégués du personnel, sœur Catherine et moi même, sommes arrivés à trouver une organisation qui convenait à tout le monde. Finalement la solution de la Bernerie a été appliquée également, en restant 5 jours à 3 éducateurs confinés avec les enfants dans les différents groupes. Sœur Catherine a partagé avec eux des masques qu’elle avait en réserve depuis l’année de la grippe en 2009. Nous avons pu voir aussi des éducateurs et des personnels s’impliquer et s’engager auprès des enfants.
Ceci a permis un travail éprouvant mais fructueux. Des liens différents se sont créés entre les personnes. Chacun essayant à sa manière de prendre soin des autres, d’apporter son aide et son soutien. La manifestation des œuvres de Dieu ne passe pas toujours par les chemins que nous aurions imaginés. Mais elle est bien réelle, car elle permet de donner du sens à tous ces évènements, même si une grande partie nous dépasse et si tous ne partagent pas cette lecture des faits.
Et ce 22 Mars 2020, nous allons marquer notre appartenance au Carmel, depuis 100 ans par l’agrégation officielle. Finalement le silence et la solitude du Carmel vont l’emporter sur les grandes célébrations et les rencontres festives que nous avions prévues. C’est dans l’intimité des cœurs que nous allons fêter cette appartenance à la famille du Carmel, c’est dans l’intimité des cœurs que nous allons nous reconnaître filles de l’Eglise, comme notre Mère Sainte Thérèse de Jésus, en étant solidaires de tous les chrétiens qui ne peuvent se retrouver en ce dimanche pour la célébration de l’Eucharistie. Avec saint Jean de la Croix, nous allons essayer de passer du RIEN au TOUT, car ce temps d’épreuve nous fait poser les vraies questions. Qui sommes-nous ? D’où venons-nous et où allons-nous ? Quelle est la valeur de la vie ? Et Thérèse de l’Enfant Jésus nous entraîne dans sa course de géant, sur les chemins de la confiance et de l’Amour.
Comme le psalmiste nous pouvons dire : « Le Seigneur est mon Berger, rien ne saurait me manquer. De qui aurais-je crainte, devant qui tremblerais-je ? »
Les œuvres de Dieu vont se manifester, en nous faisant entrer davantage dans la foi et l’humilité. Dieu n’a pas besoin de nos offrandes et de nos holocaustes, Il veut nos cœurs ouverts et tournés vers Lui, en ce temps de Carême. Alors une dernière image me vient à la pensée, celle de sainte Thérèse Bénédicte de la Croix (Edith STEIN) qui disait que nous devons nous tenir devant Dieu pour tous. Et lorsqu’elle est partie, avec sa petite sœur arrêtée comme elle, par la Gestapo, ses paroles ont montré la grandeur de son cœur : « Allons pour notre peuple ».
Allons, nous aussi, pour notre monde, il est en feu et Thérèse de Jésus est toujours d’actualité quand elle dit : « Le monde est en feu, ce n’est pas l’heure de traiter avec Dieu d’affaires de peu d’importance. »
Sœur Marie Thérèse MORINIÈRE