Nous venons de vivre les élections européennes et nous voilà sous le choc de la convocation d’élections législatives anticipées. En l’espace d’un mois, par trois fois, nous aurons été invités à rejoindre les isoloirs ! C’est sans doute un record.

A chaque fois que j’entre dans un isoloir, je suis pris de vertige – quand bien même j’ai pris le temps de lire les programmes, d’écouter les analyses et les débats et, au bout du compte, de discerner le choix qui me paraît le plus juste. Je suis pris de vertige, parce qu’au moment de glisser mon bulletin dans l’enveloppe, il est parfois difficile de démêler mes motivations : une sensibilité politique peut conduire à toujours voter pour le même parti quel que soit le contexte, le candidat, le programme… Les sentiments du moment : colère, désir de « renverser la table », peur pour mon avenir, celui de mes proches, celui du pays… Le contexte international… Le respect des valeurs qui fondent la vie en société … Et toutes ces considérations entremêlées donnent en effet le vertige car je réalise que voter n’est pas un acte banal, qu’il est complexe, et que même s’il n’est jamais « chimiquement pur », il engage plus que moi-même. Mon vote engage en effet le destin de millions d’hommes et de femmes et je ne peux glisser mon bulletin dans l’urne sans penser à eux tous qui vivent en interaction avec moi sur le territoire national.

Alors, depuis l’annonce de la dissolution de l’Assemblée Nationale, j’entends beaucoup de désarroi et d’incompréhension. Le risque est de se laisser emporter par nos « humeurs sombres » … Cela est d’autant plus inquiétant que jamais notre pays n’a été confronté à une telle situation politique depuis l’avènement de la 5ème République. Je crois qu’il nous faut donc, avant de connaître le vertige de l’isoloir, nous isoler…

Nous isoler pour nous remettre devant Dieu, lui qui en Jésus son Fils, a manifesté son amour à toute l’humanité, à chacun, qu’il soit jeune ou vieux, malade ou bien portant, quelle que soit sa nationalité, sa culture, sa religion… Un Dieu qui veut notre bonheur : « Dieu a tant aimé les hommes qu’il a donné son Fils Unique ».

Nous isoler pour nous rappeler que « l’amour du Christ nous presse quand nous pensons qu’un seul est mort pour tous »1 . Le pape François déclarait 2: « Il est bon de rappeler que l’amour féconde les relations sociales, culturelles, économiques et politiques, en nous permettant de construire une « civilisation de l’amour », comme aimait le dire saint Paul VI et, dans son sillage, saint Jean-Paul II. Sans cette inspiration prévaut la culture de l’égoïsme, de l’indifférence, du rebut, c’est-à-dire mettre au rebut celui que je n’aime pas, celui que je ne peux pas aimer ou ceux qui me semblent inutiles dans la société (…) Mais nous devons les aimer, nous devons dialoguer, nous devons construire cette civilisation de l’amour, cette civilisation politique, sociale, de l’unité de toute l’humanité (…) L’amour inclusif est social, il est familial, il est politique: l’amour envahit tout ! » et le pape de poursuivre : « Faites donc attention à ne pas construire sur le sable »3 ! Pour construire une société saine, inclusive, juste et pacifique, nous devons le faire sur le roc du bien commun. (…) Chaque citoyen est responsable du bien commun. Et pour les chrétiens c’est aussi une mission. Une bonne politique est possible, et même un devoir, celle qui met au centre la personne humaine et le bien commun. »

Oui, il faut nous isoler avant d’entrer dans l’isoloir ! Pour se placer devant Dieu et le laisser éclairer notre conscience par ce qui est le cœur de la foi. Je vous l’écrivais déjà pour les élections européennes et cela demeure vrai pour ces élections législatives : Jésus le Christ a donné sa vie par amour et cet amour a été plus fort que les puissances de mort et de destruction : les chrétiens le confessent vivant à jamais, œuvrant à la paix au cœur de l’histoire et des hommes qui la font.
L’enseignement social de l’Eglise nous invite à participer, comme citoyen, à l’édification d’une société pacifique et fraternelle, dans laquelle puissent être promus le respect et la promotion de la dignité de toute personne humaine, la solidarité, l’égalité, la famille et le caractère sacré de la vie, la démocratie, la liberté, la subsidiarité, le soin de notre planète qui est notre « maison commune », une société ouverte à l’universel, qui puisse contribuer au plan international à la paix, à la justice, ainsi qu’au développement des peuples.
Voilà ce qui me guidera comme citoyen et comme chrétien au moment où j’entrerai dans l’isoloir. Il revient maintenant à chacun de discerner en conscience. Je nous invite à vivre ce discernement tourné vers notre Père des Cieux, qu’il nous donne son Esprit-Saint afin d’éclairer notre conscience et qu’il le donne en abondance à ceux qui, demain, seront appelés à gouverner notre pays.

Mgr Laurent PERCEROU
Évêque de Nantes
Éditorial de la revue « Eglise en Loire-Atlantique » de juillet-août 2024

 


1 : 2 Corinthiens 5, 14
2 : Pape François, audience générale du 9 septembre 2020
3 : Matthieu 7, 21-27