Le philosophe Jacques Ricot, ardent défenseur des soins palliatifs, est décédé le 30 novembre 2025. Auteur de nombreux ouvrages sur la fin de vie, il menait un combat philosophique contre l’euthanasie et le suicide assisté, rappelant régulièrement que « Soulager la souffrance, ce n’est pas supprimer le souffrant ». Le père François Renaud qui présidait ses obsèques salue « celui qui n’était pas seulement le philosophe des soins palliatifs, il était aussi l’homme qui avait souci de servir la raison, il était un professeur qui ouvrait des horizons. » Joanne Fulton, déléguée diocésaine à la Pastorale de la santé garde en mémoire « sa profonde humanité, sa capacité à éveiller et élever tout un chacun sur des sujets graves… Il était source d’encouragement dans des moments de débat où l’on aurait naturellement été porté à se décourager ».
Membre de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), il intervenait dans les formations des personnels soignants et accompagnait les personnels de santé et les personnes en fin de vie. Des rencontres d’été à Kerguenec aux conférences et soirées d’échanges en paroisses, la parole de Jacques Ricot enrichissait depuis de nombreuses années la pensée des fidèles du diocèse et bien au-delà. Il était l’un des intervenants de la formation « Repères chrétiens en bioéthique » aux côtés des pères Arnaud Laganier et Guillaume Danno, ainsi que de Maryannick Pavageau, était intervenu auprès des équipes de la Pastorale de la santé de la Province de Rennes. On pourrait encore citer sa participation en 2019 au colloque intitulé «Soins palliatifs ? Changeons de regard ! ». Cette journée avait réuni 14 intervenants experts devant un public d’une centaine de professionnels de la santé, accompagnants bénévoles et membres d’associations. Une journée intense, joyeuse et dynamisante pour redire la finalité des soins palliatifs : soulager la douleur, apaiser la souffrance psychique, sauvegarder la dignité de la personne malade et soutenir son entourage et être là, le mieux possible, tant que dure la vie.
Jérôme Lepage, membre de l’association de La Maison de Nicodème à Nantes :
Jacques Ricot a soutenu la création de la Maison de Nicodème. Philosophe attentif à la vulnérabilité humaine et à la relation de soin, il a inspiré les fondateurs, les a aidés à penser en mettant toujours la personne au cœur de l’accompagnement. Jacques a formé celles et ceux qui œuvrent chaque jour auprès des personnes gravement malades et de leurs proches. C’est une forme de soulagement de savoir qu’il a lui-même été accompagné en soins palliatifs, qui lui ont ainsi rendu un peu de ce qu’il leur a donné sans compter, avec humilité, discrétion et grande efficacité.
Les obsèques de Jacques Ricot ont eu lieu vendredi 5 décembre, en l’église de Sainte-Luce-sur-Loire. A cette occasion son ami et confrère, le philosophe Denis Moreau a prononcé ce texte :
Il y a quelques jours, j’ai rendu visite à Jacques à l’hôpital. Il était lucide sur le fait que sa mort était proche, nous avons parlé de ses obsèques. Il m’a dit (je cite ses mots) qu’il était agacé de voir que, de plus en plus, les cérémonies d’obsèques se transformaient en « hommages » au défunt, alors qu’elles devraient être des « adieux ».
Même si j’ai aujourd’hui très envie de rendre hommage à Jacques, je vais essayer de respecter sa volonté, et donc de lui dire « adieu » en quelques mots.
Adieu, en un seul mot, est la forme contractée d’une formule latine (ad Deum) qui signifiait « je vous recommande à Dieu ».
Le mot « adieu » nous parle de Dieu, il nous rappelle donc que Jacques était chrétien. Il fut dans sa jeunesse un catholique du genre plutôt remuant et joyeusement contestataire, militant et assoiffé de justice. Sa foi devint ensuite sans doute plus classique, et plus apaisée aussi, mais pas moins intense, engagée et importante pour lui. Il était pudique à ce sujet et évitait de parler publiquement de sa foi (par exemple il n’aimait pas qu’on le désigne comme un « philosophe chrétien »), mais cette foi fut par la suite le terreau d’autres formes de militantisme que celles de sa jeunesse. Que nous partagions ou non cette foi qui fut celle de Jacques, je pense que nous avons tous été sensibles à la générosité et à la constance douce et souriante de son engagement, à son respect des personnes, amis comme adversaires, à son sens du dialogue, à sa recherche de l’exactitude dans la formulation des idées et l’expression de la pensée, à ses multiples activités en faveur de la diffusion de la philosophie dans la vie de la Cité.
Adieu signifie « je vous recommande à Dieu ». Je crois que nous pouvons aujourd’hui placer cette formule dans la bouche de Jacques en considérant qu’il l’utilise en parlant de nous, et en pensant faire, de son point de vue, quelque chose de bon pour nous. Cela nous rappelle que Jacques était quelqu’un de très généreux. Il ne souhaitait pas d’hommage, mais ce ne sera pas lui être infidèle si chacun d’entre nous, lors des temps de méditation de cette cérémonie, prend quelques instants pour faire mémoire de tout ce dont, d’une façon ou d’une autre, il est redevable à Jacques. En ce qui me concerne, ma gratitude est grande, pour tous les bons moments passés ensemble et nos rituels déjeuners partagés place Mellinet, pour les discussions philosophiques, pour les textes et les livres dont Jacques a toujours patiemment relu les manuscrits avec beaucoup de bienveillance et de rigueur, pour le travail sur sa thèse, pour les matchs ensemble à la Beaujoire, pour l’amitié fidèle et réconfortante. J’ajouterai cette note plus personnelle : lorsque je suis arrivé à Nantes en 1996, j’étais un jeune philosophe très timide et complexé, manquant beaucoup de confiance en lui-même. C’est Jacques qui, patiemment, avec beaucoup de tact, de finesse, d’amicale persuasion aussi m’a permis de prendre confiance en moi, d’intervenir dans le débat public, d’écrire des livres. Il m’a donné ce que le philosophe Malebranche appelait « du mouvement pour aller plus loin ». Je suis sûr que je ne suis pas le seul dans ce cas. Souvenons-nous donc avec gratitude, pour dire adieu à cet homme, de tout le bien qu’il a fait en passant parmi nous.
Adieu signifie « je vous recommande à Dieu ». Par cette formule et pour ceux d’entre nous qui estiment que les prières servent à quelque chose, Jacques nous demande également aujourd’hui de prier pour lui. Je peux témoigner que sa foi ne l’a pas quitté, et l’a sereinement accompagné, lors de ces derniers et éprouvants mois de maladie. Durant cette période, Jacques a vécu tout ce sur quoi il avait réfléchi, lui qui a tant travaillé sur les questions de fin de vie et de soins palliatifs. Dans ces moments très difficiles, il a offert, en homme de conviction, un bel exemple de cohérence entre une vie et une pensée.
Dans les dernières semaines de son existence, Jacques a souvent relu, ou se faisait relire, un texte intitulé « Le courage de l’abandon » dans lequel le théologien Joseph Caillot, atteint de la maladie de Charcot, envisage sa mort prochaine. Je vais pour finir vous lire quelques extraits de ce texte
« Il y a deux aspects dans l’abandon, par un côté, le courage qui consiste à devoir quitter définitivement ses tâches, à devoir renoncer définitivement à ses projets ; par un autre côté, le courage de s’abandonner à l’inconnu qui vient, en s’exerçant à y discerner la présence de Dieu. Ce sont les deux faces indéchirables d’une même aventure spirituelle que je ne maîtrise pas. Le courage de l’abandon s’inscrit dans la tension entre la mort qui vient et l’amour qui demeure [et en prononçant le mot amour, je pense évidemment à Maryvonne, qui a été la compagne de Jacques et l’a si attentivement accompagné dans la maladie]. Si l’amour ne tombe jamais à terre, s’il est fort comme la mort et, même, nous le croyons, plus fort que la mort, il constitue du même coup la seule voie royale qui nous reste quand tout semble perdu ».
Dans sa vie aussi bien que dans ses derniers mois habités par le courage de l’abandon, Jacques s’est efforcé d’être fidèle à cette voie royale.
Adieu donc, cher Jacques.
Bibliographie (non exhaustive) :
- Qui sauver ? L’homme ou le chien ? Mame, 2021
- La fin de vie, ouvrage collectif d’Olivier Abel – Régis Aubry – Donatien Mallet – Jacques Ricot – Patrick Verspieren, 2018
- Penser la fin de vie : L’éthique au cœur d’un choix de société, Presse de l’EHESP 2017
- Le suicide est-il un droit de l’homme ? M-Editer, 2015
- Du bon usage de la compassion, PUF, 2013
- Qui est le prochain ?
- De quoi parlons-nous exactement lorsque nous parlons d’euthanasie ?
- Ethique du soin ultime, avec Jean Léonetti, Hygée éditions, 2010
- Le mourant : statut du mourant, par Robert William Higgins, Jacques Ricot et Patrick Baudry, M-Editer, 2006
- La tentation de l’euthanasie, Repères éthiques et expériences soignantes, Jacques Ricot, Marie-Sylvie Richard, Patrick Verspieren, Desclée de Brouwer, 2004
- Dignité et Euthanasie, Editions Pleins feux, 2003
- Philosophie et fin de vie, Hygée éditions, 2003
- Peut-on tout pardonner ? (Éditions Pleins Feux, 1999)
- Étude sur l’humain et l’inhumain (Éditions Pleins Feux, 1998)
Revoir la table ronde sur les enjeux éthiques et philosophiques liés aux propositions de loi relatives au droit à l’aide à mourir et à l’égal accès aux soins palliatifs, à laquelle participait Jacques Ricot le 9 juillet dernier, avec notamment Bernard-Marie Dupont (Université de Bretagne occidentale). Elle était organisée par la commission des #AffairesSociales (Philippe Mouiller).
Dans la Matinale de Radio Fidélité du 4 décembre 2025, Denis Moreau, ami et philosophe lui-même, revient sur le parcours de cet homme de foi, depuis ses années de contestation joyeuse au Cercle Jean XXIII jusqu’à son engagement auprès des personnes en fin de vie. Entre amitié avec Henri Caillavet, président de l’ADMD, et exigence éthique inébranlable, Jacques Ricot a incarné ses convictions jusqu’à ses derniers jours. Un portrait de celui qui a su transformer le débat sur la fin de vie en dialogue authentique.










