À l’invitation du Pape François, depuis le 17 octobre et jusqu’en mai dernier, nous avons « marché ensemble ». Nous nous sommes mis en chemin, paroisses, services diocésains, mouvements d’apostolat des laïcs, communautés religieuses, Enseignement catholique, sans oublier un certain nombre d’entre vous qui, hors des structures traditionnelles, n’avez pas hésité à vous retrouver en équipe sur un quartier, un village, entre amis… Nous nous sommes mis en chemin comme on part en balade par un jour de beau et grand soleil pour prendre le temps, entre amis, de s’écouter, de partager ce qui nous préoccupe, ce qui nous tient à cœur… Et cette « balade synodale », nous l’avons vécue sous le grand et beau soleil de Dieu qui venait réchauffer nos rencontres, nous aidant à discerner ce qui, en notre Église, était beau et bon, ce qui avait saveur d’Évangile, mais également ce qu’il nous fallait convertir et faire bouger pour qu’elle soit toujours davantage ce corps à l’écoute de l’Esprit Saint qui « nous désaltère », afin que nous puissions en Église être « la fontaine au milieu du village ».
Alors que devons-nous retenir de cette « balade synodale » ? Je ne veux pas ici revenir sur le contenu de la synthèse, mais davantage vous partager trois appels qui devraient nous aider à faire de la synodalité un « savoir être» en Église.
1er appel : Saint Paulin, évêque de Nole, en Italie, au début du 5e siècle, écrit : « Soyons suspendus à la bouche de tous les fidèles, car dans tous les fidèles souffle l’Esprit de Dieu ! » Nous avons expérimenté, avec bonheur des organisations imaginées pour « être suspendus à la bouche de tous les fidèles ». Pourtant nous devons constater que certains n’y ont pas pris part : les plus fragiles, les jeunes générations entre autres… N’ont-ils pas osé ? Ne se sont-ils pas sentis concernés ? Pourtant, la synodalité nécessite d’être profondément enraciné, immergé dans la communauté humaine que l’Église locale est appelée à servir. Il s’agit d’entrer en compagnonnage avec nos contemporains. C’est le choix de Dieu lorsqu’il s’est incarné en Jésus de Nazareth pour se faire homme au milieu des hommes. Seule une pastorale du compagnonnage, de l’incarnation, permet d’ouvrir dans les cœurs de nos contemporains les chemins par lesquels la Bonne Nouvelle du Salut peut les rejoindre. Je me réjouis de ce que la synthèse souligne : « rassemblements et Eucharistie du dimanche sont vécus comme un vrai soutien de la vie chrétienne ». L’Eucharistie est précisément le sacrement de la rencontre des divers membres du corps afin qu’ils fassent corps en Celui qui en est la tête, le Christ, accueilli dans sa Parole et dans son Pain de vie. Là est le cœur de la mission des disciples du Ressuscité : ce n’est qu’en vivant de l’Eucharistie que nous pourrons aller à la rencontre des frères pour leur témoigner l’amour du Père qui sauve et relève dans un monde trop souvent dur et difficile.
2e appel : Le Pape François écrit : « On ne peut pas participer à l’Eucharistie sans s’engager à une fraternité mutuelle, qui soit sincère. Mais le Seigneur sait bien que nos seules forces humaines ne suffisent pas pour cela. Et même, il sait que parmi ses disciples il y aura toujours la tentation de la rivalité, de l’envie, des préjugés, de la division … Nous connaissons tous ces choses. C’est aussi pour cela qu’il nous a laissé le Sacrement de sa Présence réelle, concrète et permanente, de façon à ce qu’en restant unis à Lui, nous puissions toujours recevoir le don de l’amour fraternel. “Demeurez dans mon amour ” (Jn 15, 9), a dit Jésus; et c’est possible grâce à l’Eucharistie. Demeurer dans l’amitié, dans l’amour. »1
Comme l’exprime la synthèse, si nous voulons que nos assemblées eucharistiques dominicales manifestent le peuple de Dieu rassemblé célébrant dans la joie son Sauveur, nous devons œuvrer pour qu’elles soient toujours davantage signifiantes, fraternelles, de qualité, et qu’elles se tiennent dans des lieux où il fait bon se retrouver. Et cela nécessite de réfléchir à la manière dont nous les préparons, dont nous les célébrons. Il est nécessaire également de nous interroger plus largement sur la manière dont nous vivons le dimanche, le jour du Seigneur, personnellement, en famille et au sein de nos communautés chrétiennes.
3e appel : Sœur Nathalie Becquart, sous-secrétaire au secrétariat général du Synode des Évêques, formule dans un article récent « un appel à changer au défi d’une juste autorité »2. Elle écrit que la synodalité est une « expérience d’incarnation qui nous met à l’écoute du réel, à l’écoute des cris et des besoins du monde ». Elle prend l’image « d’une danse ensemble » dans laquelle tous, pasteurs et fidèles, par un dialogue vivant et un partage en confiance, se meuvent en relation les uns avec les autres. Pour entrer dans une attitude ajustée de dialogue et de partage, la synodalité demande donc intériorité et disponibilité à ce que l’Esprit Saint dit à travers l’autre. Elle suppose de pouvoir reconnaître ces fruits de l’Esprit qui sont aussi les fruits de la synodalité : la joie, la paix, l’élan missionnaire, la communion, le désir d’engagement, l’amour des autres et de l’Église…
Mais pour se mettre en œuvre à tous les niveaux de l’Église, la synodalité a besoin de pasteurs aptes à conduire et accompagner des processus synodaux. Car, en régime catholique, il n’y a pas de synodalité sans primauté, c’est toujours « sub petro » qu’elle se vit, c’est-à-dire sous l’autorité de celui qui, au cœur de la communauté, agit au nom et en la personne du Christ-Tête. Parce que l’Église catholique contient donc structurellement un principe hiérarchique, on peut dire que la synodalité ne peut se déployer à tous les niveaux sans un service de présidence. L’Église a besoin aujourd’hui de pasteurs formés à la synodalité qui exercent un nouveau style de service qui se traduit par un nouveau rapport au pouvoir et une nouvelle manière d’exercer l’autorité conçue comme un service de la liberté.
Cela demande donc d’intégrer et de mettre en œuvre un sens de l’autorité qui permette à chacun d’exprimer et de manifester ce que l’Esprit Saint lui inspire pour le bien du corps du Christ tout entier. Nous mesurons là le chemin à parcourir pour que, tous ensemble, dans la diversité de nos vocations et de nos charismes, nous marchions vers une Église Synodale. Cela demande une conversion de tous – des prêtres et de l’évêque, certes, mais de vous tous – pour que notre Église diocésaine devienne, selon les vœux du pape François, une Église synodale, « lieu ouvert où chacun se sente chez soi et puisse participer. »
Extraits de l’homélie de Mgr Percerou à l’occasion de la célébration d’action de grâce pour la fin de la phase préparatoire du Synode des évêques (Lire en intégralité)
Mgr Laurent PERCEROU
Évêque de Nantes
paru dans ELA n° 127 – juillet-août 2022
1. Angélus Fête-Dieu 2014
2. Nathalie Becquart, revue Christus n°270, avril 2021