En cette fin août, dans toutes les églises de France, il sera fait mémoire de la lettre pastorale de Mgr Saliège dont cette année marque le 80ème anniversaire. Durant l’été 1942, informé des rafles et des premières déportations, il rédige aussitôt une lettre pastorale de protestation.
Dans le diocèse de Nantes, Mgr Percerou encourage les curés à présenter cette lettre de Mgr Saliège et à la lire lors des messes des 21 ou 28 août qui sont les dimanches les plus proches de la date de sa proclamation, le dimanche 23 août 1942 : « Je crois essentiel de faire œuvre de mémoire et, en ces temps pour le moins troublés que notre pays traverse, je crois également essentiel de rappeler l’engagement de l’Eglise pour le respect de la vie et l’accueil inconditionnel de toute personne humaine quelle qu’elle soit » .
Le 8 août 1942, un convoi de Juifs étrangers, formé » de malades, de vieillards et d’infirmes « , quitte à pied le camp du Récébédou, près de Toulouse, et gagne la gare voisine de Portet-Saint-Simon où l’attend un train de onze wagons. » Des scènes lamentables ont lieu « , des tentatives de suicide, des crises de folie. Une catholique fervente, Thérèse Dauty, assistante sociale auprès des étrangers, décrit la situation dans un rapport qu’elle fait parvenir à Monseigneur Saliège. Le 10 août, un deuxième convoi est formé qui donne lieu à de nouvelles manifestations tragiques. Témoins ou informés de ces faits, des représentants des Œuvres rédigent un rapport confidentiel qui est également transmis à l’archevêque. Alors, le dimanche 23 août 1942, Monseigneur Saliège, archevêque de Toulouse, fait lire dans les églises du diocèse cette lettre de protestation :
Mes très chers Frères, Il y a une morale chrétienne, il y a une morale humaine qui impose des devoirs et reconnaît des droits. Ces devoirs et ces droits, tiennent à la nature de l’homme. Ils viennent de Dieu. On peut les violer. Il n’est au pouvoir d’aucun mortel de les supprimer.
Que des enfants, des femmes, des hommes, des pères et des mères soient traités comme un vil troupeau, que les membres d’une même famille soient séparés les uns des autres et embarqués pour une destination inconnue, il était réservé à notre temps de voir ce triste spectacle.
Pourquoi le droit d’asile dans nos églises n’existe-t-il plus ?
Pourquoi sommes-nous des vaincus ?
Seigneur ayez pitié de nous. Notre-Dame, priez pour la France.
Dans notre diocèse, des scènes d’épouvante ont eu lieu dans les camps de Noé et de Récébédou. Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Les étrangers sont des hommes, les étrangères sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos Frères comme tant d’autres. Un chrétien ne peut l’oublier.
France, patrie bien-aimée, France qui porte dans la conscience de tous tes enfants la tradition du respect de la personne humaine, France chevaleresque et généreuse, je n’en doute pas, tu n’es pas responsable de ces horreurs.
Recevez mes chers Frères, l’assurance de mon respectueux dévouement.
Cette lettre pastorale a un grand retentissement dans l’opinion. Elle est reprise et diffusée par la radio de Londres et par la presse clandestine de la Résistance. C’est la première prise de position publique en faveur des Juifs. Elle dénonce des aspects jusque-là cachés ou ignorés de la politique de Vichy, ceux de l’exclusion et de l’antisémitisme d’Etat. Elle amorce un virage plus critique dans les positions d’une partie de l’Eglise, comme en témoigne également la lettre pastorale de Monseigneur Théas, l’évêque de Montauban, qui est lue dans toutes les églises de son diocèse le 30 août 1942 : » Les mesures antisémites actuelles sont un mépris de la dignité humaine, une violation des droits les plus sacrés de la personne et de la famille. «
Mgr de Moulin-Beaufort, président de la Conférence des Évêques de France, dans son discours de clôture de la dernière Assemblée plénière des évêques, relève : « Dans une telle parole et de tels actes vibre la sainteté ordinaire qui se consume au jour le jour dans le don de soi et se tient prête à se donner tout d’un coup lorsqu’il le faut ; la sainteté ordinaire et extraordinaire qui sait se faire hospitalité lorsqu’il le faut. Il me faut le dire encore : l’âme du cardinal Saliège était indemne de tout antisémitisme et il y a encore trop d’antisémitisme, caché ou non, dans notre pays ; le Christ de l’abjection, il pourrait être aussi dans des personnes âgées qui sentiraient peser sur elles l’attente de l’euthanasie, si celle?ci venait à être légalisée dans notre pays ; le Christ de l’abjection, il est assurément déjà dans les migrants clandestins ou non que État et notre société peinent à accueillir en les considérant comme des frères ou des sœurs à respecter. » (extrait).